Des plantes à l’état sauvage à l’origine des plantes cultivées
Au gré du vent, la graine vole libre et légère, détachée de la plante qui l’a portée. Sa course folle prend fin là où le vent perd de son souffle.
Ce sont des conditions favorables qui vont permettre à la graine de germer, de croître et de donner une plante, à son tour.
A ce stade, la plante vit à l’état sauvage.
L’influence du climat, de l’altitude, de l’alternative du froid et de la chaleur, de l’hygrométrie, de la composition chimique et géologique du terrain, et du vent, donc, vont être déterminants pour que la graine prenne vie.
Tous ces facteurs relèvent de sciences bien diverses. Ils constituent les conditions des milieux géographiques déterminants, sur l’évolution des végétaux et leurs possibilités d’existence.
La domestication des plantes s’est faite par l’homme progressivement dans un processus lent et évolutif pour se nourrir. Elle est liée à une transition d’une société de chasseurs-cueilleurs à une société agricole sédentarisée. C’est la naissance de l’agriculture avec la notion de champ d’une même culture.
Botaniste Franco-Suisse, Alphonse de Candolle (1806 Paris - 1893 Genève) est l’un des rares scientifiques de son époque, à s’intéresser à l’origine des plantes cultivées et leur domestication par l'homme à partir d'espèces sauvages.
Il consacre sa vie à la description et la classification d’espèces, rédige des mémoires et des traités spécifiques.
Précis, rompu aux procédés statistiques, minutieux, observateur, érudit, il est fidèle à la tradition scientifique transmise par l’oeuvre de son père : Prodromus systematis naturalis regni vegetabilis, traité botanique publié entre 1824 et 1873, qu’il poursuit.
Augustin Pyrame de Candolle (1778 - 1841), père d’Alphonse de Candolle, est donc l’auteur des sept volumes du dit Prodrome de Candolle. (Un prodrome est une introduction à des études, surtout à des traités d’histoire naturelle.) Celui-ci entreprend alors un travail titanesque : réaliser un ouvrage décrivant toutes les plantes connues organisées selon sa classification. Une synthèse des descriptions de toutes les plantes à graines connues en ce temps, auxquelles furent rajoutées de nombreuses. Le Prodromus est basé sur la « méthode naturelle » de classification botanique.
Augustin Pyrame de Candolle s’appuie sur les travaux de ses prédecesseurs, et notamment sur les travaux de Charles Linné, naturaliste et médecin suédois (1707-1778) qui a mis au point une nomenclature encore utilisée de nos jours. Dans l’ouvrage de Charles Linné Species plantarum, celui-ci met en place la nomenclature binominale (ou binomiale) en désignant chaque espèce végétale par deux termes : un nom de genre et un nom d’espèce. Ces deux termes constituent le binôme. Le binôme est en latin quelle que soit la langue d’origine. Le genre s’écrit toujours avec une majuscule et le nom d’espèce en minuscule, même s’il dérive d’un nom propre. Les deux termes sont écrits en italique, en gras ou en souligné. Le binôme est suivi du nom complet ou abrégé du 1er auteur descripteur (ayant publié après 1753). Cette date marque le début de la nomenclature moderne, date admise comme étant celle de la parution de Species Plantarum.
Par exemple, la pâquerette (nom verniculaire), depuis la nomenclature botanique binomiale de charles Linné, le binôme s’écrit Bellis pérennise L.
Les noms d'espèces sont souvent basés sur une caractéristique de la plante (morphologie, fleur, odeur, propriété, utilisation, origine, époque ou de croissance ou de floraison) ; les noms de genres, sur des noms de personnages célèbres dont de nombreux botanistes.
Revenons aux travaux d’ Alphonse de Candolle…Après la mort de son père, Alphonse de Candolle endosse la responsabilité d'amener à bon terme la publication du Prodromus. Il reprend les manuscrits laissés en attente et les complète, les publiant sous le nom de son père dans les volumes 8 à 10.
Passionné, il poursuit sa propre oeuvre sur l’origine des plantes cultivées. Son intérêt se porte sur la notion de champ et des régions cultivées dans le monde.
Par tradition scientifique, il adopte donc une méthode pour mener ses recherches selon trois axes : botanique, archéologique et linguistique.
En 1855, Alphonse de Candolle écrit le Traité de géographie botanique et estime que « la distribution actuelle des espèces est comptable d’événements géologiques antérieurs à notre époque. »
En 1882, paraît Origine des plantes cultivées, édition Germer-Ballière
De nouveaux horizons s’ouvrent sur la classification, l’histologie, la physiologie végétale…
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De l’origine des plantes cultivées aux centres géographiques d’origine des plantes cultivées
La graine, la semence est précieuse et Nikolaï Ivanovitch Vavilov(13 novembre 1887 Moscou -26 janvier 1943 Saratov), éminent botaniste, agronome et généticien russe y consacre sa vie jusqu’à donner sa vie !
La Russie a encore en mémoire la famine de 1873 lorsque naît Nikolaï Vavilov. Puis celles de 1891 et 1892 feront 400 000 morts, faisant suite à des privations extrêmes. C’est une époque de fin de règne des tsars où les paysans vivent dans la misère. Ce sont les famines de 1921, 1932 puis 1946 qui se sont soldées en URSS par des millions de morts. Des réquisitions décidées par Lénine au lendemain de la guerre civile à l'exportation de millions de tonnes de céréales après la Seconde Guerre mondiale, en passant par la collectivisation totale et forcée des terres décrétée par Staline dès 1929, le régime soviétique y a pris une part directe.
Même s’ il n'en a pas moins cherché, dès ses débuts, les moyens d'améliorer les rendements agricoles pour garantir la sécurité alimentaire, sommant la science, agronomes et biologistes en tête, d'y parvenir.
Le contexte historique influence la destinée de Nikolaï Vavilov et détermine sa vie et son oeuvre.
Il va collecter, répertorier la semence, la conserver et chercher son origine en fonction de son espèce et son appartenance géographique.
Pour cela, il poursuit ses études à l’institut de Moscou en agronomie et participe, étudiant, à sa première expédition botanique en 1908 dans le Caucase. A l’issue de ses études, il voyage en Europe, notamment en France, pour apprivoiser de nouvelles techniques de sélection, pour étudier le système immunitaire des végétaux et pour étudier leur hérédité. Il étudie la génétique, auprès de William Bateson, en Angleterre, premier scientifique à suggérer ce terme, en 1905.
Nikolaï Vavilov cherche un lien entre l'agriculture et l'évolution des plantes alimentaires. Il s'interroge sur la génétique des espèces cultivées, la sélection des caractères de résistance par la nature et l’homme.
Nommé directeur de l’Institut de botanique appliquée et des nouvelles cultures de St Pétersbourg (Léningrad), en 1921, il est alors âgé de 33 ans.
Chercheur visionnaire, il pressent l’existence de berceaux, de centres d'origine des plantes cultivées. Il pense que les espèces domestiquées sont issues d’espèces sauvages et que celles-ci donnent des caractères d’un intérêt primordiale pour les semences de demain, pour l'agriculture.
C’est alors qu’il organise pas moins de 115 expéditions botaniques et agronomiques à travers le monde pour ses collaborateurs et auxquelles il participe activement, sur le terrain. Il conduira ces expéditions de collecte de végétaux dans 64 pays afin de déterminer les centres d’origine des plantes cultivées et de préserver l’humanité de la famine par la biodiversité. Cette collection prélevée sur les 5 continents entre 1920 et 1940, constitue un patrimoine biologique et culturel essentiel aux enjeux agricoles et paysagers, avant l’intrusion de la chimie.
Les recherches de l’Institut botanique appliquée de Russie, sous la direction de Nikolaï Vavilov, ont élucidé la composition des variétés et botaniques de nombreuses plantes cultivées.
Il a été possible au moyen d’investigations systématiques, de déterminer les centres de diversité des variétés de la plupart des plantes cultivées (ceci alors que d’importants échanges de plantes cultivées se sont faits internationalement, ceci alors que les peuples se sont déplacés au fil du temps et malgré l’ancienneté de l’agriculture et la colonisation…).
La méthode pour déterminer les centres d’origine des plantes cultivées a été minutieuse et progressive :
1 - Répartir les espèces linnéenne et groupes génétiques par l’étude morphologique
2 - Déterminer la surface occupée par ces espèces, et dans les temps les plus reculés possibles
3 - Déterminer les différents caractères héréditaires des variétés et des races de chaque espèce linnéenne
4 - Etablir la répartition des formes héréditaires d’une espèce et déterminer le centre géographique où cette espèce est concentrée. Déterminer aussi des lieux de concentration des formes des espèces génétiquement alliées
5 - Enrichir ces recherches par l’archéologie, l’histoire…
L’institut pansoviétique de botanique appliquée et des nouvelles cultures de Léningrad, fondé en 1894, est la plus ancienne banque de semences au monde ! Elle prend le nom d’Institut Vavilov en 1967. Nikolaï Vavilov, directeur du lieu, nous l’avons vu précédemment, jusqu’en 1940, consacre sa vie à la collection qui abrite aujourd’hui les graines et les semences d’environ 366 000 variétés végétales.
Ce sont des échantillons de blé, d’orge, de pois, de lentilles, etc, par dizaines de milliers qu’il inventorie et collectionne : il « explore des glaciers du Tadjikistan aux forêts d’Amazonie, des déserts d’Éthiopie aux plaines d’Italie »… au territoire des indiens Hopis et Navajos, pour le maïs… au centre de diversité des pommiers au Kazakhstan…
Ce sont des centaines de milliers d’échantillons de graines, de boutures, pollens, bourgeons et greffons de plantes cultivées ou sauvages, abrités par l’institut Vavilov. La banque la plus complète de la planète : 40 % de la collection date d’avant la seconde guerre mondiale et 80 % introuvables dans les banques de semences qui ont vu le jour depuis celle-ci. De plus, ces semences non transformées sont très résistantes.
Pour Vavilov, il s’agit de prémunir l’humanité de la famine par la biodiversité agricole. Il a compris très tôt les dangers liés à l’érosion génétique.
Les 8 centres d’origine des plantes cultivées selon Vavilov Schéma : Les centres d'origine des plantes cultivées selon Vavilov : (1) Mexico-Guatemala, (2) Peru-Ecuador-Bolivia, (2A) Southern Chile, (2B) Southern Brazil, (3) Mediterranean, (4) Middle East, (5) Ethiopia, (6) Central Asia, (7) Indo-Burma, (7A) Siam-Malaya-Java, (8) China. -
Il écrit en 1926 : Etudes sur l’origine des Plantes cultivées.
Au cours de ses missions sur différents sites géographiques dans le monde, Nikolaï Vavilov observe la présence de « mauvaises herbes » ayant des similitudes avec des espèces de plantes cultivées. « Une forme de mimétisme chez les plantes où une mauvaise herbe évolue pour partager une ou plusieurs caractéristiques avec une plante domestiquée ». En biologie végétale, on désigne ce mimétisme des cultures le mimétisme vavilovien.
Le mimétisme vavilovien est l’illustration de la sélection involontaire par l’homme. La semence de ce type de culture est d’ une qualité d’une haute résistance
« Le centre de diversité d’un groupe donné est souvent caractérisé par la présence de nombreux parasites. »
« Les mauvaises herbes comme progéniteurs des plantes cultivées. »
« De l'Avoine comme mauvaise herbe et de l'origine des Avoines cultivées. »
« Il existe donc à côté des types cultivés ayant certains caractères, des formes sauvages incontestables, qui peuvent être considérées comme les progéniteurs. »
Extraits de l’ouvrage de Nikolaï Vavilov, publié en 1926 : Etudes sur l’origine des Plantes cultivées
Finalement, une vie consacrée aux semences, à leur collecte, à leur étude et leur préservation. L’Institut Vavilov en est un grenier.
Nikolaï Vavilov reçoit le prix Lénine en 1926, l’une des plus hautes distinctions accordée du temps de l’Union Soviétique, pour ses découvertes scientifiques.
Il est membre du Soviet suprême et président de la Société géographique de l’URSS (1931-1940).
Fervent défenseur de la théorie chromosomique de l’hérédité, il s’oppose à la théorie de Trofim Lyssenko, pendant la période stalinienne. En effet, Lyssenko rejette la théorie génétique qu’il considère comme une science « bourgeoise », et celui-ci, d’origine paysanne, promet à Staline des résultats miraculeux et trois fois plus rapides afin de prévenir de nouvelles famines.
En 1937, le congrès international de génétique est annulé au dernier moment par le régime soviétique ;congrès qui aurait consacré la reconnaissance mondiale de Vavilov.
En 1948, la théorie de Lyssenko est élue au rang de théorie officielle exclusive et ne permet aucune autre voie. La théorie génétique est donc prohibée et les laboratoires de génétiques sont fermés. Les chercheurs ayant survécus aux purges staliniennes, sont emprisonnés et condamnés à mort, dont Nikolaï Vavilov. Arrêté le 6 août 1940, et finalement condamné à 20 ans de prison, meurt de faim le 26 janvier 1943 à la prison de Saratov. Lui qui a oeuvré pour que que l’humanité survive à la famine, par la biodiversité agricole…!!
L’ironie du sort a également touché les ardents défenseurs de la semence, ceux-là mêmes qui les ont collectées , au côté de Vavilov, ensemencé les champs pour permettre la préservation de la collection, au sein de l’Institut. Pendant le siège de Léningrad par l’armée allemande, septembre 1941-janvier 1944, ils ont protégé ce grenier contre les pillages, les rats et le froid et les semences furent épargnées ! Neuf des douze botanistes à poste meurent de faim également…
Aujourd’hui, 120 personnes travaillent à l’Institut Vavilov. Car les semences étant vivantes, il faut les régénérer tous les deux à dix ans, en fonction des cultures.
Ces personnes de l’établissement mettent donc en terre une partie du stock dans l’une des 11 stations d’expérimentation réparties sur le territoire russe, situées majoritairement dans le Caucase.
L’Institut interagit avec d’autres pays du monde afin de leur faire bénéficier de leurs semences, dont la France.
« Un collectif lyonnais de chercheurs et d’associations appelé le Collectif Vavilov, contribue également à financer l’Institut russe, dont les subventions annuelles ont considérablement été réduites depuis la chute de l’URSS. Français et Russes ont même effectué une expédition ensemble en 2015 dans le Caucase. Suivant à la même méthodologie qu’à l’époque, ils ont collecté en 2015 plus de 300 plantes endémiques qu’ils ont rapportées en France. Un réseau de maraîchers, jardiniers, associations et collectivités territoriales de la région Auvergne Rhône-Alpes font vivre ses semences de variétés anciennes. » Centre de Ressources de Botanique Appliquée
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